Pour le sang et la chair.
Pour la Reine des Enfants.
Ils menèrent le nordique à travers les collines les yeux bandés. Combien étaient-ils? Il ne savait guère. Peut-être quelques-uns, ou bien toute une tribu. Il reconnaissait la voix de la Sorcière Melinée, mais il ne parvenait à comprendre les autres murmures, les autres chuchotements.
La procession avançait parmi les bois noueux et la froide rocaille de la Crevasse, menée par l'étrange sorcière, sans qu'elle ne se retourna une seule fois, tandis que des mains du clan Mornesonge, le guider à travers cailloux et taillis. Il faillit chuter plusieurs fois mais jamais, ni rictus moqueur, ni remarque, de l'assemblée que le seul silence et le chant, qui lui parut alors sinistre, de la nature sauvage.
De ce silence s'éleva une voix féminine et sévère, puis une poigne sur son épaule, lui imposa l'immobilité.
"Ce soir, mes amis, nous honorons la Reine des Enfants, une vie pour sa grâce, de l'un ou de l'autre, seule, elle, choisira, l'élu de la nuit éternelle."
Le nordique ne comprenait pas grand-chose à cette proclamation mais un frisson lui parcourut l'échine, lui qui détestait jusque la la magie et les superstitions, était servis, de plus, complètement désorienté et dans le noir le plus profond, il ne s'était jamais sentis aussi vulnérable. C'était un sentiment des plus désagréable. Alors il entendit racler le sol, puis quelques éclats rougeoyants vinrent chasser jusque là l'obscurité la plus totale. Puis il senti une présence approcher discrètement et l'effleurer, glissant ses doigts derrière son crane, elle dénoua le bandeau qui entravait sa vue et le libéra de son inconfort.
La nuit était pleine...Pleine de feu et de chaleur. Le nordique était entouré de braseros énormes montés sur des pieds taillés dans la pierre. Devait-il se trouver dans une obscure et ancienne ruine nordique oubliée car au milieu d'une clairière brûlait cette couronne de flamme comme autant de joyaux sous un ciel de nuit et une dizaine, peut-être vingtaine de silhouettes le scrutaient, immobiles, et inquiétants. Sa vue se brouillait tout d'abord sous la violence d'une telle transition, et il aperçu ensuite la main gracile couvertes d'ossements de la sorcière sur son épaule jusqu'à ce que celle-ci pivote pour lui faire face.
"Je peux t'aider à sauver ton amie, mais pour que la Reine des Enfants rende la vie, elle doit aussi donner la mort."
Et d'un vague signe de la main spectral, elle fit signe à un homme, une silhouette massive approchant et entrant au sein du cercle. L'homme portait une fourrure et des ossements, mais de son visage, Jvollnïr n'apercevait rien que l'aspect d'un crane de troll inquiétant. L'homme se frappa la poitrine trois fois avant de faire tournoyer une masse grossière en bois constellée de piques d'une main, ce qui n’impressionnait guère le nordique qui restait de marbre face à lui. Il comprenait maintenant la courte tirade de la sorcière, ce serait un duel à mort. La sorcière éleva un cri dans la nuit, et l'écho du clan entier y répondit d'un étrangement hululement semblable au cri de la chouette, accompagné de coups secs, comme des percussions sur un bouclier.
La face de troll s'avançait férocement, le combat allait commencer.
D'abord d'un pas lent mais sur, puis de plus en plus rapidement, le Crevassais s'élança hâtivement ce qui surpris Jvollnïr qui ne s'attendait pas à une telle rapidité pour un guerrier si massif, et il eut tout juste le temps de se protéger de la garde de sa hache de bataille alors que la masse s’abattit sur lui. Il eut l'impression de devoir tenir un rocher à bout de bras et ses jambes tremblaient sous la force du guerrier. Un ricanement mesquin s'échappa des lèvres de son adversaire, tel une ombre dans la nuit, un fantôme emplis de malice et de cruauté...Quelque-chose se passait, quelque-chose de mauvais...Il pouvait le ressentir jusqu'au coeur de ses tripes et tandis qu'il chancelait, prêt à céder à la force de l'ennemi, sa volonté repris le dessus et tentant le tout pour le tout, c'est d'un magistral coup de tête qu'il répondit. Il eut l'impression de s'exploser le crane tandis que sa tête heurta le crane de troll...Celui-ci tituba en arrière, relâchant alors la pression sur sa hache. Pris de vertiges, il inspira puis expira longuement pour ne point faillir...Quand il aperçu progressivement le véritable visage du Crevassais se dévoiler, car sous la violence du choc, le crane s'était fendus en deux avant de se morceler, gisant désormais en brisures éparses à ses pieds.
Il se demandait s'il n'était guère moins terrifiant avec son masque que sans, tant ce visage déformé de peintures aux traits sombres baignant les joues et signes cabalistiques tel des épines exprimait un sadisme naturel et des plus féroces. Ce qui était sur, c'était que ce guerrier n'avait pas peur, pire, son regard vif et féroce témoignait d'un amusement certain, et d'une folle envie de violence. Il eut à peine le temps de souffler que la deuxième charge suivis, se jetant en avant muant sa masse tel un fendoir, le nordique esquiva sur le côté et répondit d'un revers de sa hache qu'il balaya largement. Leurs deux armes s'entrechoquèrent mais ne firent guère vaciller le Crevassais qui enchaîna d'une puissante estocade dans l'estomac. Jvollnïr eut l'impression d'une charge de sanglier dans le ventre et hurla de douleur avant vomir une gerbe de sang, le corps plié en deux. Heureusement il aperçu l'ombre d'une main se lever et il eut tout juste le temps de se jeter en avant sur son assaillant, et répliqua d'une avalanche de poings. Saisissant sa hache des deux mains, il bloqua la garde de celle-ci contre sa gorge pour tenter de le neutraliser, mais le Crevassais lui était supérieur en force et il n'eut guère de mal à se défaire de l'étouffante étreinte, roulant alors chacun sur le côté d'une part et d'autres. Ils se redressèrent tous deux hâtivement et une tempête de coups s'en déversa, on apercevait la masse tourner mais à chaque fois se heurter à la hache de Jvollnïr, l'éclat de l'acier brillait sous les deux lunes et hurlait leurs fracas, quand brusquement après une feinte, l'arme du Crevassais s'abattit sur son épaule, accompagné d'un sinistre craquement...annonçant une vive souffrance. Son épaule était en miette. C'était tout son corps qui tremblait dès lors de douleur et il pensa sa dernière heure arrivée. Au moins serait-il mort en héros dans un duel glorieux face à l'ennemi de toujours. Sovngard lui tendait les bras.
Quand à Phèdre...La pauvre enfant. Il n'aurait pu la soigner, il n'avait même rien préparé pour ces proches...
Sovngard devrait attendre un peu, il ne pouvait condamner la gosse au prix de son impuissance, il devait se reprendre! Et grognant de toute sa hargne le nordique se redressa et fila sur son ennemi comme un aigle file sur sa proie, reprenant l'avantage. Il tentait de balayer sa hache d'une main car son second bras ne répondait plus, mais ces mouvements étaient alors bien trop lestes et hasardeux et le guerrier s'en défendait aisément en riant.
"C'est finit pour toi nordique, je vais vivre et toi, tu rejoindras le royaume de Namiira."
"Jamais tête de Troll...Jamais je crêverai sous les coups d'un putain de Crevassais." Répondit t'il furieux contre son adversaire mais aussi contre lui et renâclant tel un taureau, il eut brusquement l'idée de lui écraser le pied lourdement, entravant alors la liberté de mouvement du Crevassais. Puis enchaîna brusquement d'un uppercut à la hache. Même si le mouvement était grossier, il réussit à lui entailler une bonne partie du thorax. L'homme hurla sa douleur comme sa haine avant de chuter en arrière dans une gerbe pourpre tatouant le nordique du sang de son adversaire. S'esquissa alors sur son visage vengeur un sourire satisfait et libérateur. Il survivrait finalement...
"Ce n'est...pas...finit...Je suis..."
Brusquement le corps à terre du Crevassais fut pris de convulsions...
"Je suis un Chasseur..."
Il tressaillait au sol, s'agitant dans tous les sens...Puis c'est avec effroi que Jvollnïr remarqua la peau du guerrier se fissurer, et craquer, s'étiolant en morceaux de chairs écœurants.
"Un chasseur...D'Hircine!" Hurla t'il alors qu'il se muait dans sa véritable forme...Il n'avait dès lors plus rien du guerrier qu'il affrontait. Il s'était transformait en un monstre de poils sombres et de crocs, qui avoisinait presque les trois mètres. Un chien d'Hircine, un Goliath. Il comprenait mieux son ressentiment étrange face à ce guerrier et son sourire sadique.
"Par les couilles de Shor..." Répondit à lui même le nordique, mais alors qu'il tentait de trouver un échappatoire, la bête était déjà sur lui, d'une vitesse surnaturelle et lui lacéra la poitrine. Jvollnïr voulu hurler de douleur mais il n'eut guère le temps d'avoir mal que la main de la bête lui attrapa son épaule brisée, et serra si fort que le nordique sentait sa conscience défaillir, assommée par la souffrance. C'est alors par instinct de survie qu'il tâtonna sa ceinture pour se saisir d'une fiole et l'ouvra avec la bouche avant d'en déverser le contenu, la jetant sur le monstre. Un nuage verdâtre engloba le loup-garou, et lorsque le monstre en aperçu le contenu, il était déjà trop tard. Un essaim de mouches s'accrochait à son et lui creusait voracement la peau. La bête hurla et desserra son étreinte sur l'épaule en miette de Jvollnïr. Elle se débattit dans tous les sens tandis que les mouches tel un millier d'aiguilles lui piquaient le corps. Et ne cherchant qu'à vivre seulement, Jvollnïr enfonça la garde pointu de sa hache de guerre dans la poitrine du monstre et l'y enfonça de toutes ses forces, d'abord difficilement avant de l'empaler comme de la viande froide. Alors celui-ci, s'immobilisa brusquement, et recrachant un ultime flot de sang s'effondra au sol dans un dernier tremblement. Il n'y avait plus de hurlements, plus de grognements...Seulement le silence de la nuit et la douleur qui le transperçait lui aussi de part en part. Le monstre gisait au sol, le regard noir et vide.
Il avait vaincu...
"Ho Reine des Enfants, accueille ton fils en ton sein, et qu'il pourrisse ainsi en ton royaume...Quand à vous Champion..." Proclama la sorcière d'une voix nasillarde, et tout en s'approchant, elle se saisit d'un couteau, lame effilée et rituelle pour la planter sauvagement dans la poitrine du monstre, et creusa au plus profond de son corps mort. Baignant leurs trois corps du sang du sacrifié, elle finit par en arracher le cœur alors encore palpitant, et le présenta telle une relique sacrée au nordique.
« Mords. » Lui ordonna t'elle face à lui. « Mords par la Chair et laisse la te guider. »
Jvollnïr était dans un état second, perdu entres l'écho de la violence et une extrême fatigue. Titubant, et ivre des vertiges de cette terrible expérience, il s'avança, hésitant une fraction de seconde. Mais il était trop tard, il ne reculerait plus, pas après ce qu'il venait de se passer. Ainsi faisant fis de tout ce qu'il pensait, de la morale, de ce qui était bien ou mal, c'est à deux mains qu'il se saisit de l'organe outrageusement offert pour y planter furieusement ces dents tel un exorcisme salvateur, dans une extatique libération, le cœur alors pleins d'espoir, dans sa quête de réponses, mais désormais empoisonné.
Il prit l'effet d'une gifle, d'une tempête cinglante et glaciale. C'était un vent gelé qui dansait autour de lui, mêlé à une ombre fantomatique. Le ciel se couvrait de noir et le sol de mort. Baissant les yeux, ses prunelles ne percevaient qu'un océan de cranes perdus dans d'infinis abysses. Et pourtant en ce royaume infernal, il n'avait pas peur, il ne s'y sentait guère étranger. Au loin parmi une brume poisseuse, se distinguait la forme d'une silhouette féminine qui disparut aussitôt pour laisser place à une lumière sombre irradiant d'un cocon pâteux et huileux, dont la laide obscurité s’étendait en des filins vers le nordique jusqu'à s'accrocher à son corps. La toile était poisseuse et froide tandis qu'elle remontait de ses pieds jusque sa poitrine et s'y accrocha comme une chenille s'accroche à une feuille pour mieux la dévorer.
« J'ai...froid... »Murmura au vide de la nuit Jvollnïr, le corps alors tremblotant.
Quelques craquements de brindilles se firent entendre, quand il se rendit compte que c'était le cocon qui se craquelait et déversa un flot de ténèbres qui lui provoqua une puissante décharge d'énergie. Lui vint alors d'affreuses visions, L'artefact de la ténébreuse relié à une créature abjecte et à la jeune gamine du nom de Phèdre à travers une toile sombre, puis brusquement le lien entres l'affreuse harfreuse et la gamine s'estompa comme coupé instantanément, la toile disparaissant pour mourir au sol. L'harfreuse hurlant de colère dans des cris sauvages au milieu d'un cercle de pierre, puis une obscurité latente loin du monde des vivants, sous la terre...Il reconnut Griffenoire, avant d'être dévoré complètement par la substance poisseuse, l’âme à jamais marqué de sa griffe.
ll étouffait, il ne pouvait même hurler pour soulager sa detresse...Il se noyait dans des profondeurs de damnés, là où plus jamais il ne verrait la lumière.
Il prit l'effet d'une gifle...Allongé au milieu d'une clairière, seul, sous la caresse du vent froid de Bordeciel. il ouvrait les yeux doucement, l'aube s'était installée et le ciel était clair comme un printemps. Il entendait quelques oiseaux piailler. Jvollnïr était vivant...
Il ne comprenait pas ce qu'il s'était passé, il aurait pu prendre tout cela pour un mauvais rêve, si d'affreuses douleurs aux bras et à l'épaule ne venaient se rappeler à lui de toute leur affection, mais il se sentait bien en vie, l'esprit clair, malgré son corps abîmé, et soudainement il repensa au voyage fantasmagorique. Haletant, et paniqué, il défit son armure et sa chemise pour tâtonner sa poitrine et chercha son reflet dans la lame de sa hache...Rien, il n'y avait rien. Sa poitrine était intacte, si ce n'est quelques cicatrices dont certaines déjà anciennes. Avait-il été drogué ? Peut-être...On raconte que les Sorcières Crevassaises étaient Maitres dans l'art des potions et des drogues.
Alors le nordique se redressa à l'aide de son arme, puis jetant un regard vers les montagnes se décida qu'il était temps de rentrer à la maison...Pour l'instant.